L'extraordinaire voyage d'une onde radio
ou le transport d'une onde de 3,6 cm sur plus de 9 milliards de Km
Contribution proposée par Michel Guillou pour l'exposition consacrée aux 100 ans de la radio au Musée des télécommunications
Un incroyable voyage
Sur terre, la banalisation de l'usage de la radio, en particulier avec les mobiles, fait parfois oublier les possibilités de cette découverte d'il y a 100 ans. L'incroyable périple des sondes spatiales au-delà du système solaire est là pour nous montrer les limites que l'homme fait reculer sans cesse. L'une d'elles, Voyager 1, lancée le 5 septembre 1977, est, après l'arrêt de la sonde Pioneer 10 le 31 mars 1997 à 19H35 UTC (note 1), l'objet construit par l'homme le plus éloigné de notre bonne vieille terre à quelques 10,026 milliards de Km (la distance réellement parcourue du fait de l'orbite est de 11,879 milliards de km). Seule, la radio a permi de rester en contact avec un tel objet malgré les nombreux problèmes à résoudre comme par exemple : maîtriser les commandes avec un temps de transfert d'un message qui met plus de 9 heures pour nous parvenir (à cause de la vitesse de propagation de la lumière : 299792,5 km/s) ou le pointage d'antennes de 70 mètres de plus de 3000 tonnes vers la sonde malgré la rotation de la terre.
Approuvée en 1972, la mission Voyager inclue deux sondes conçues et fabriquées par le JPL (Jet Propulsion Laboraty) pour la NASA (National Office of Space Science and Application). Elles étaient chargées de l'étude de Jupiter, Saturne et ses anneaux ainsi que les "lunes" des deux planètes. Optimisation de la mission oblige, deux orbites furent retenues parmi 10000 étudiées. Au terme des cinq années de succès de la mission initiale (Voyager 1 atteignit Jupiter le 5 mars 1979 et Saturne le 12 novembre 1980), il fut décidé de la prolonger cette mission pour étudier, avec Voyager 2 seulement (réplique fidèle de Voyager 1), les planètes Uranus et Neptune, une opportunité de positionnement des deux astres qui se reproduit tous les 175 ans. En utilisant l'assistance gravitationnelle de chaque planète pour atteindre la suivante cela permit à Voyager 2 d'atteindre Neptune en 12 ans (depuis le lancement) au lieu de 30.
Mettre au point une liaison avec la mission et assurer son suivi demande d'optimiser tous les maillons de la chaîne "radioélectrique", le fameux bilan de liaison, par une optimisation draconienne à tous les niveaux : antennes à haut gain et très directives, récepteurs très sensibles, choix de la meilleure fréquence, etc. Voici donc un coup de projecteur sur la liaison radio la plus sophistiquée au monde.
Les moyens radio à bord
La sonde, d'un poids de 800 Kg, comporte différents modules pour les dix expériences scientifiques et d'autres pour assurer le vol proprement dit (navigation, génération électrique, calculateur de bord). Les résultats de ces expériences et observations, les images ainsi que les données internes de la sonde sont multiplexées pour être envoyés vers les modules radio afin d'être transmis vers la terre, c'est le signal de télémesure.
Lors de la transmission, il se produit des erreurs dûes à des phénomènes perturbateurs : bruit, parasites, etc. Afin d'y remédier, le signal à bord de la sonde est codé suivant deux niveaux, la puissance du code s'en trouve fortement amélioré. Voyager utilise un code convolutionnel concaténé avec un code Reed-Solomon, le gain du codage est d'environ 8 dB, par rapport à la non utilisation d'un code, pour une probabilité d'erreurs de 10-6. Un tel taux d'erreurs est aujourd'hui nécessaire pour les images compressées et la télémétrie devenue plus complexe par rapport aux premières missions spatiales.
Les modules émetteurs utilisent deux bandes de fréquences pour la liaison descendante : 8,418 Ghz (3,6 cm de longueur d'onde, bande X) d'une puissance de 18,3 W et 2,295 Ghz (bande S) d'une puissance de 21,3 W (pour mémoire la puissance électrique disponible pour l'ensemble des instruments sur la sonde est aujourd'hui de 333 W), (note 2). La bande S n'est plus utilisée aujourd'hui à la descente du fait de la trop grande distance.
Les émetteurs sont pilotés soit par des oscillateurs ultra-stable (2*10-12 sur 100 s) - ce qui se faisait de mieux en 1972 pour l'espace, aujourd'hui dépassé par les oscillateurs au césium des satellites GPS - soit par le signal en provenance de la terre pour assurer la cohérence dans le calcul de la distance (voir plus loin).
Les données en temps réel sont transmises en modulation de phase à un débit de 160 bits par seconde aujourd'hui, tous les 6 mois une transmission à haut débit est effectuée pour envoyer les données stockées dans l'enregistreur de bord, le DTR, (un enregistrement de données scientifiques de 48 s à 115,2 kbps est fait sur le DTR chaque semaine). Ce débit était à 38,4 kbit/s lorsque la sonde se trouvait à 1,5 milliards de Km de la terre (plus la distance augmente, plus le débit baisse pour limiter la largeur de la bande de fréquence de modulation utilisée). En 2010, la capture des données par le réseau terrestre d'antennes de 70 et 34 mètres (couplées) sera limitée à 1,4 Kbps.
Les ondes radio sont focalisées vers la terre à l'aide d'une antenne parabolique de 3,7 m de diamètre à haut gain : 48,2 dB en bande X, (le rendement de l'antenne est de 62%), la PIRE (puissance équivalente rayonnée) de l'ensemble émetteur-antenne est de 1,32 MW. Elle reste pointée en permanence vers notre astre, un autre exploit pour assurer la précision et la stabilité de ce pointage.
Les ondes commencent alors un long chemin vers la terre, l'affaiblissement d'espace libre (*2/(4*D)2 à 8,4 Ghz et ce pour une distance de 10 Milliard de km est de ... 310,92 dB (à titre de comparaison il est de l'ordre de 209 dB pour un satellite géostationnaire qui émet à 11 Ghz).
Les moyens radio à terre
Garder le contact, recevoir les données des expériences et de la sonde représentent une prouesse technique. Un réseau spécial, le DSN (Deep Space Network) opéré par le JPL pour la NASA, est implanté aux USA à Goldstone, près de Madrid en Espagne et en Australie non loin de Canberra, ceci afin de garder un contact permanent avec la sonde (à cause de la rotation de la terre). Chaque complexe comprend une antenne de 70 m, deux antennes de 34 m et une de 26 m, il est relié au centre opérationnel du JPL à Pasadena par un réseau de communications haut débit pour les données, la voix, la vidéo. Un réseau expérimental utilisant la technique de l'ATM est en cours de démonstration et de test, il préfigure le futur maillage des stations du DSN.
Les premières antennes de 64 mètres du DSN furent modifiées entre 1982 et août 1988 pour porter le diamètre à 70 m (3850 m², 3000 tonnes, rendement de 75%, défaut de surface < 1 cm), apportant une augmentation du gain de plus de 2 dB dans la bande X soit 74,1 dB. En théorie, ces antennes doivent être capable de suivre les sondes jusqu'à ... 16 milliards de km. La mise en réseau, sur le même site, d'une antenne de 64 m et de deux antennes de 34 m assurent, pour le bilan de liaison, un gain supplémentaire de +1,9 dB (+ 3,6 dB pour 4 antennes dont une de 70m). La mise en réseau permet soit de capter des signaux plus faibles, soit d'augmenter le débit. Les données en temps réel à 160 bps peuvent encore être captées aujourd'hui avec des antennes de 34 m.
Les antennes sont reliées à des récepteurs à très faible bruit de réception -165 dBm dans 10Hz - ce qui se fait de meilleur dans le domaine - captent les très faibles signaux qui nous parviennent avec une puissance de l'ordre de ... 10-18 Watt soit 0,000000000000000001 Watt.
Un émetteur de 400 kW en CW (en bande S à 2,110 GHz) permet de transmettre des ordres à la sonde si celle-ci devenait un peu ... dur d'oreille. Couplé à l'antenne de 70 m cela donne une PIRE de 200 GW. En fonctionnement normal la puissance de l'émetteur varie de 0,2 à 20 kW.
Les complexes sont équipés d'horloges maser à hydrogène pour assurer la référence temps des stations et du réseau du DSN ainsi que pour la datation des différents événements de la mission, la synchronisation des horloges de l'ensemble des complexes et du réseau est maintenue mieux que 5 microsecondes, l'exactitude en temps est connue à +/- 30 nanosecondes de la référence standard américaine (NIST). Le temps est codé, dans la trame de télémétrie, en jour de l'année avec un compteur ayant une résolution de la milliseconde (microseconde bientôt), le début de la période de référence étant le 1er janvier 1958. Il faut noter que des mesures de temps précises sont importantes pour ces missions afin de calculer la distance de la sonde à la terre ainsi que la causalité et la chronologie des problèmes qui peuvent survenir (même le délai de propagation dans les équipements à terre, antennes, récepteurs, est calibré) une exactitude de +/- 1,5 microsecondes est maintenue sur l'estampillage en temps des événements.
Chacun des complexes peut assurer 8 à 14 heures d'écoute lorsqu'il arrive en visibilité des sondes. Sur une période de 8 jours environ 115 heures d'écoute sont programmées dans les stations du DSN pour le support de la mission Voyager 1. Chaque semaine, la terre envoie la traditionnelle commande de remise à zéro du compteur chargé de surveiller toute perte de contact avec la terre, en l'absence de cette réinitialisation - ce qui voudrait dire quelle ne pourrait plus être télécommandée - la sonde se mettrait dans une séquence programmée qui assurerait toutefois l'envoi d'informations vers la terre.
Les expériences radio à bord de la sonde
La sonde, en plus, de ses propres équipements radio pour transmettre les données vers la terre, embarque deux expériences relatives à l'étude des ondes radio dans l'espace : les modules PRA et PWS.
PRA (Planetary Radio Astronomy), cette expérience est chargée de localiser et d'expliquer les émissions radio produites par le soleil et les planètes, de mesurer la résonnance du plasma près de celles-ci et de détecter les éclairs dans leur atmosphère. Cette expérience, raccordée à un récepteur très performant, lui même associé à une double antenne de 10 mètres en forme "d'oreilles de lapin" (deux brins en forme de V à angle droit), couvre les fréquences de 20,4 kHz à 1300 kHz et de 2,3 Mhz à 40,5 Mhz. Le récepteur peut travailler suivant deux modes : écouter trois fréquences pendant 6 secondes chacune ou balayer toutes la bande de fréquences de la plus haute vers la plus basse.
PWS (Plasma Wave Investigation), le récepteur détecte la présence d'éventuelles ondes radio dans une gamme de fréquences de 10 Hz à 56 kHz. Ce module partage l'antenne du récepteur PRA (mais les deux brins ne forment "radioélectriquement" qu'un seul brin de 7 mètres pour cette expérience). Opérant principalement en mode balayage, il peut, en même temps, écouter toutes les fréquences de la bande simultanément lorsque la sonde se trouve près d'une planète.
Sur Voyager 2, les scientifiques utilisèrent le signal radio descendant de la sonde pour étudier l'ionosphère et l'atmosphère de Triton (satellite de Neptune) en analysant les modifications de la phase et de l'amplitude provoquées par les différents composants de ces milieux lorsque la sonde s'apprêtait à disparaître derrière la planète (imposant ainsi un silence radio).
Divers
La sonde possède un calculateur sécurisé, autoprotégé, qui peut se mettre en état de sauvegarde pour quelques secondes ou plusieurs minutes car le délai aller de commande de la sonde est impossible en temps réel du fait du temps de propagation de l'onde (18 heures 37 minutes en août 1997 avant de recevoir la confirmation de la bonne exécution de la commande). La flexibilité du logiciel embarqué et de l'architecture du calculateur, dont la technologie date du début des années 70, a permi de modifier, depuis la terre, le logiciel initial et de prendre avantage de certaines technologies développées depuis le lancement (comme la compression des images). A l'inverse, à terre les équipements ont pu suivre l'évolution technologique afin de capter les signaux de plus en plus faibles qui leur parvenaient. Ce souci de flexibilité (très visionnaire dans le concept) pour exploiter toutes les opportunités nous permet aujourd'hui de mieux connaître les confins de notre univers.
Un enregistreur est particulièrement chargé de stocker les données scientifiques surtout lorsque le flux de données est bien supérieur au débit de communication vers la terre, lors du passage près d'une planète par exemple. Il y avait décorélation complète entre le débit de capture des données et le débit de transmission de ces même données, un tampon en quelque sorte. En 1990, la sonde avait transmis plus de 80000 images haute résolution et 200 Gbits de données.
L'horloge interne de la sonde qui donne le temps SCLK est un compteur, maintenu par le sous-système de commande et de données, qui mesure le temps s'écoulant depuis le début de la mission. La sonde utilise également un temps dit SCET (Spacecraft Event Time) qui est une réplique du temps UTC de notre bonne vieille terre. Il est construit à partir de celui de la station d'émission en ajoutant le délai de transmission (OWLT : One Way Light Time). Bien qu'ils utilisent des formats différents, la dérive de SCLK, à cause des effets découlants du "paradoxe des jumeaux de Langevin" (ralentissement d'horloge à grande vitesse), est analysée par rapport à SCET pour fournir des profils de dérive et des coefficients de corrélation entre les deux temps de la sonde.
L'exploitation des ondes reçues, en tant que porteuse, permet de connaître le positionnement de la sonde dans l'espace lointain en utilisant le VLBI (Very Long Baseline Interferometry). Le principe consiste à mesurer la différence de temps de réception du signal dans deux antennes très éloignées l'une de l'autre, la calibration des récepteurs se faisant par écoute d'un quasar bien connu. Cette technique a apporté une précision de distance de 1 mètre à ... 4 milliards de kilomètres, la précision angulaire étant de 150 nanoradians. En raison de la distance, la station qui émet le signal de mesure et assure sa réception, utilisait un maser à hydrogène ayant une stabilité de 1*10-14 par jour pour la mesure du temps de propagation du signal (distance=300000km/s * temps propagation), une dérive significative entraîne une incertitude importante sur la distance. A noter que la sonde assure la plupart du temps une retransmission cohérente, c'est à dire une transposition du signal de montée auquel elle ajoute ses données de télémétrie avant de le retransmettre. Une nouvelle technique, dite trois voies - la station de réception n'est pas la même que celle qui émet, car elle n'est plus en visibilité à cause de la rotation de la terre - permettra de calculer la distance pour les très grandes distances (lorsque le temps de propagation est de 18 heures aller-retour par exemple).
Un futur prometteur
Après 20 ans de bons et loyaux services, le périple de la sonde va continuer vers l'héliopause (limite de l'influence magnétique du soleil et du début de l'espace interstellaire, entre 13 et 18 milliards de Km) à la vitesse de 43000 Km/h (par rapport à la terre en août 1997) (note 3), les ingénieurs et techniciens du projet espèrent recevoir encore des informations jusqu'en ... 2015 voire aux environs de 2020 (limite de la puissance électrique nécessaire et du combustible indispensable pour le positionnement sur la trajectoire). En plus d'utiliser les ondes pour transporter les données scientifiques, les capteurs de la sondes rechercheront la présence d'ondes radio dans l'univers.
Les équipements scientifiques seront arrêtés graduellement en fonction de leur perte d'intérêt si loin du système solaire. La sonde a été programmée pour pointer et transmettre vers la terre même s'il n'est pas possible de lui envoyer des ordres.
La mission Voyager, mobilisant près de 3000 personnes pendant 20 ans, fit de nombreuses premières dans le domaine des télécommunications, de la navigation. Un tel exploit, 100 ans après la découverte du phénomène physique qui le permet, est pour le moins peu banal et montre que la radio, seul lien possible avec les sondes (note 4), a encore de beaux jours devant elle en nous apportant une belle part de rêve.
NOTES :
note 1 : Le 31 mars 1997 à 10,24 Milliards de km de la terre, date d'arrêt officiel de la poursuite de Pioneer 10 après 25 ans de bons et loyaux services, elle fut la première sonde a s'extraire de l'attraction du soleil. Son homologue, Pioneer 11, avait cessé de transmettre en novembre 1995. La bagatelle de ... 313 millions de centimes était nécessaire annuellement pour converser avec elle (en comparaison, le coût total de la mission, incluant les lancements et les générateurs nucléaires, pour les deux sondes voyager réprésente la somme de 450 milliards de centimes). Dorénavant, avant de parvenir près de l'étoile Aldebaran (dans la constellation du Taureau) dans ... 2 millions d'années, elle servira à l'entraînement des contrôleurs du Deep Space Network spécialisés dans la poursuite des sondes.
note 2 : La puissance électrique disponible au lancement de la sonde était de 470 Watts (sous 30 Volts continu), elle sera de 296 Watts à la fin de la mission. Cette énergie est fournie par trois générateurs thermoélectriques nucléaire (Plutonium 238) couplés en parallèle. La puissance disponible avec des panneaux solaires serait bien insuffisante à cette distance.
note 3 : à cette vitesse relative (variant en permanence) la sonde, parcourant environ 520 millions de km par an, mettrait plus de 77000 ans pour atteindre l'étoîle la plus proche, Proxima du Centaur, située à 40 110 milliards de km de la terre soit 4,24 années lumière.
note 4 : des études sont menées actuellement pour utiliser dans l'avenir des fréquences de l'ordre de 30 GHz et des liaisons optiques par laser.
note générale : les informations relatives à la position de la sonde, ainsi qu'à ses paramêtres sont valables pour le mois d'août 1997.
Sources :
Documents NASA sur les sondes Pioneer et Voyager, Documents Deep Space Network sur les transmissions, Article Journal Le Monde 29 mars 1997, Divers articles de la revue Air et Cosmos depuis le lancement des sondes, Divers articles de la revue l'Astronomie, Revue IEEE Spectrum, juin 1986, pp.60-65, Revue IEEECommunications Magazine, mai 1984, pp.8-21, Revue IEEECommunications Magazine, septembre 1990, pp. 22-27, Revue Science magazine, volume 246, 15 décembre 1989, Revue Espace Information N°12, 1977, Revue Sciences et Avenir N°512, octobre 1989.
Photos : NASA, DSN