Le cohéreur de BRANLY

Par Michel Dontenwille (F1GVU). Membre du radio-club F8PTT

Le premier détecteur utilisé pour la mise en évidence des ondes électromagnétiques est la boucle que Hertz utilisait lors de ses premières expériences en 1896 démontrant ainsi les théories de MAXWELL. Cette boucle est ouverte, entre les extrémités de celle-ci se produit une petite étincelle lors d'une émission d'onde. Ce dispositif très simple ne fonctionne qu'en champ fort à proximité d'un émetteur par exemple ; ce dispositif est d'ailleurs toujours utilisable pour tester un émetteur en insérant une petite lampe à incandescence dans la coupure de la boucle.

La T.S.F. est née, son développement est lié, en partie, à la possibilité de détecter à bas niveau grâce à un dispositif très ingénieux : le COHEREUR ou RADIO-CONDUCTEUR. Avant Edouard BRANLY des physiciens tel que le danois MUNCK de ROSENCHÖLD (1835/1838), l'anglais VARLEY (1866) et l'italien CALZECHI-ONESTI (1884/1885) ont étudié les propriétés électriques des limailles métalliques.

Après avoir fait des études médicales Edouard BRANLY âgé de 46 ans venait de reprendre ses travaux de physique. A l'époque, le physicien HERTZ venait de faire deux découvertes : un nouvel effet photoélectrique (1887) et les ondes qui portent son nom (1888) ; BRANLY choisit la recherche en radioélectricité (terme sans doute non utilisé à cette époque).

Celui-ci reprenant les expériences de STOLTOW, soumet au rayonnement ultraviolet de l'étincelle électrique les armatures d'un condensateur monté en série avec une pile et un galvanomètre ; il observa le passage d'un courant quand l'étincelle était éloignée de l'armature sensible, mais plus curieux encore lorsque cette dernière était masquée par une lame de verre ou une feuille de carton. BRANLY multiplia les expériences avec d'autres dispositifs et substances capables de mettre en évidence ce nouvel effet. Après avoir utilisé des verres métallisés et des lames isolantes recouvertes de poudres métalliques, il réalisa un dispositif très sensible constitué d'un tube isolant contenant une certaine quantité de limaille métallique comprise entre deux cylindres métalliques. Cependant l'idée d'application de ces propriétés curieuses à la réception d'ondes hertziennes sur de petites distances reviennent à Messieurs LODGE et POPOFF ; MARCONI lui, parviendra le premier à utiliser ce dispositif à la réception de signaux télégraphiques à grande distance.

Cette invention de BRANLY fut présentée à l'Académie des Sciences le 24 Novembre 1890 et au Congrès International de Physique de 1900.

Maintenant décrivons l'expérience fondamentale de BRANLY :

"Si l'on forme un circuit comprenant un élément Daniell , un galvanomètre à long fil et un tube à limaille (formé d'un tube en verre ou en ébonite contenant une certaine quantité de limaille métallique comprise entre deux cylindres métalliques), il ne passe le plus souvent qu'un courant insignifiant ; mais il y a une brusque diminution de résistance, accusée par une forte déviation du galvanomètre, quand on vient à produire, dans le voisinage du circuit, une ou plusieurs décharges électriques. L'action peut être constatée à plus de 20 mètres, à travers des cloisons et des murs. Les variations de résistance sont considérables ; elles sont, par exemple, de plusieurs millions d'ohms à 2000 ou même à 100, etc. La diminution n'est pas passagère."

Cette expérience sera répétée avec de nombreux corps conducteurs sous forme de poudres, de poudres agglomérées et même avec des billes et des disques métalliques de plusieurs centimètres de diamètre et aussi avec deux corps conducteurs de forme quelconque posés l'un sur l'autre (figure 6, 7 et 8).

L'étude des contacts imparfaits de corps conducteurs, en particulier les limailles métalliques, est surtout due à BRANLY, BLONDEL, TOMMASINA, BOSE, mais aussi ARONS (1889), VAN GULIK (1898), MALAGOLI (1899) et WASZIK (1924).

A l'époque quatre type de comportement étaient distingués :

1 - La résistance du contact diminue et conserve sa nouvelle valeur. Cependant un choc ou une élévation de température la ramène à sa valeur primitive. Ce type est appelé cohéreur ordinaire ou radioconducteur.

2 - La résistance diminue, mais elle reprend sa valeur primitive dès que le contact est soustrait à l'action de la perturbation électrique. Ce type est appelé cohéreur autodécohérent. Les varistances modernes répondent à ce critère.

3 - La résistance du contact augmente et conserve sa nouvelle valeur ; mais elle reprend sa valeur primitive sous l'action d'un choc ou d'une élévation de température. Ce type est appelé anticohéreur.

4 - La résistance du contact augmente, mais reprend sa valeur primitive dès que celui ci n'est plus soumis à l'action de la perturbation électrique. Ce type est appelé anticohéreur auto décohérant.

Constitution physique des différents types :

- Cohéreur ordinaire (figure 1, 2 et 3)

Tube rempli de limaille de fer , acier, nickel, aluminium, étain, plomb,etc. (métaux oxydables ! ), sulfures métalliques. Les métaux moins oxydables tels que l'argent, le cuivre et le zinc ne permettent pas de réaliser de bon cohéreurs. Le degré d'oxydation est déterminant pour la sensibilité mais aussi la finesse des limailles, pas de"poussières" cependant. La pression exercée sur la limaille par les deux électrodes : trop faible instrument trop sensible voir instable, trop forte conduction permanente.

Un mélange de plusieurs métaux peut être aussi utilisé. Guglielmo MARCONI utilisait un tube de 4 cm de long, deux électrodes en argent séparées d'environ 0,5 mm, entre celles ci un mélange de nickel, d'argent et des traces de mercure. On a également utilisé des limailles d'or ou d'argent alliées au cuivre en proportion variable, électrodes en acier ou maillechort. L'or vierge donne les cohéreurs les plus sensibles ; tension d'utilisation 0,2 à 1 volt, (J BOULANGER et G FERRIE).

Cohéreur autodécohérant :

Conducteur tel que le charbon, l'eau acidulée (H2SO4), des oxydes métalliques, parfois des limailles métalliques.

Anticohéreur :

Contacts de métaux dans des conditions particulières, par exemple feuilles très minces d'or ou d'argent collées sur du verre, contacts avec certains sels ; phénomène assez rare peu évident et qui n'a pas été l'objet d'études importantes à l'époque (1902).

Anticohéreur autodécohérent :

Remplacement, dans un cohéreur de type des deux premières catégories (cohéreur ordinaire et cohéreur autodécohérent), du conducteur avec par exemple de la vapeur d'eau dans l'intervalle très étroit obtenu en divisant en deux parties le tain d'un fragment de miroir (miroir avec couche d'argent je suppose) ; autre solution : glycérine dans un cohéreur à charbon, cohéreur à limailles métalliques mêlées de poudres isolantes.

TOMMASINA a remarqué qu'avec du potassium métallique plongé dans du pétrole on a un cohéreur autodécohérent si la pression a une certaine valeur, pour une pression plus élevée on a un anticohéreur autodécohérent. (Attention danger car le potassium est un métal très oxydable et qui donne une réaction explosive au contact de l'eau , risque d'inflammation au contact de l'air humide ! Alors bricoleur s'abstenir).

Etude statique du cohéreur:

Si l'on intercale un tube à limaille dans un circuit contenant une grande force électromotrice l'effet produit est le même que celui des ondes hertziennes. Par exemple, si le tube est réglé pour avoir une très grande résistance (pression sur la limaille) le galvanomètre est a peine dévié ; après l'avoir retiré de son circuit on fait traverser celui-ci par le courant d'une pile de 25 volts (courant limité en plus par une résistance série de plusieurs millions d'ohms). On observe en replaçant le tube dans son circuit que le galvanomètre dévie indiquant une diminution notable de résistance ; l'effet est d'autant plus fort que la tension appliquée est élevée. On constate que l'effet est le même avec une étincelle électrique, celui-ci est progressif avec la diminution de la distance. La même expérience peut être conduite avec un circuit ayant une faible résistance par rapport au cohéreur, on constate qu'il suffit de 2 à 5 volts pour avoir le maximum de conductibilité. Il est vrai qu'il faut prendre en compte la valeur réelle de la tension aux bornes du cohéreur dans un circuit ayant une grande résistance associée à une tension élevée. Certains cohéreurs sont conducteurs pour 0,1 volt (métal-or).

La quantité de limaille influe également, il y aura des sensibilités différentes selon les couches (observation de BRANLY). Par contre, une faible quantité de limaille donne une sensibilité plus indépendante de la distance par rapport à l'étincelle. Il a été reconnu que cette tension atteint une valeur limite au dessus de laquelle le contact imparfait n'est plus actionné régulièrement, il n'y a plus ni contact absolu ni d'isolation ; BLONDEL l'a nommée tension critique de cohérence, cette valeur n'est pas une " quantité " physique mais plutôt une notion empirique d'ordre pratique.

Théories du tube à limaille :

Selon BRANLY, l'isolant entre les conducteurs serait rendu conducteur sous l'effet passager de tensions élevées. Selon TURPAIN, cette notion est valable pour le cohéreur autodécohérent, mais pas pour le cohéreur ordinaire : problème de la polarisation du diélectrique après l'action des ondes électriques, constitution de chaînes de limaille constaté par TOMMASINA ; LODGE rend aussi compte de ce phénomène. Un choc rompra donc ces micro-soudures et les contacts seront à nouveau dans leurs conditions primitives. RIGHI émet l'hypothèse de l'orientation des grains de limaille sous l'action des ondes. Les effets sont réels sous l'action d'ondes très puissantes , micro-arcs entre grains, modification du diélectrique entre grains, compression puis détente de celui-ci d'ou déplacement possible. Cependant ce phénomène n'existe pas en cas d'onde de très faible énergie.

TOMMASINA explique la cohérence par une différence de potentiel produisant un très faible champ électrostatique, lequel donne lieu à tous les effets connus comme conséquences d'un champ oscillant compliqué par l'action d'un courant continu, modifié à chaque accroissement instantané du potentiel, c'est à dire à chaque oscillation. La modification est due à une polarisation se propageant de grain à grain. La polarisation des oxydes et des diélectriques se poursuitsous l'action des ondes hertziennes, formation de ponts et chaînons moins conducteurs ce qui donne des effets négatifs. Dans ce cas il y a des anticohéreurs autodécohérents.

La notion de diélectrique est souvent évoquée ; la rupture du diélectrique, la soudure des conducteurs, l'adhérence du diélectrique avec les conducteurs et même la notion " grâce à l'élasticité du diélectrique " en sont des notions explicatives.

Au Congrès de Physique de 1900, CHUNDERBOSE explique le fonctionnement des cohéreurs de tous types par la déformation moléculaire des corps en contacts, analogie avec l'excitation électrique sur un muscle. L'explication de TOMMASINA à été reprise par POIRSON en 1922 dans le premier numéro de la revue " L'onde électrique ".

Mr PELABON professeur à la faculté des sciences de Lille a présenté un ensemble sphère plan séparé par une lame d'air microscopique, il avait le même comportement qu'un cristal de galène. Celui-ci aurait sa surface couverte d'une très faible épaisseur de soufre isolant ; PELABON avançait alors la théorie basée sur le comportement des électrons à la surface d'un conducteur. Cette théorie date des années 20, aujourd'hui l'effet tunnel serait utilisé pour d'écrire le phénomène.

L'état actuel de nos connaissances permet sans doute une meilleure approche du fonctionnement des cohéreurs ou radioconducteurs. Plusieurs effets interviennent dans le fonctionnement, pris isoléments ou plus vraisemblablement en association : - effet diélectrique , en particulier le comportement des couches minces ; - effet Tunnel ; - effet Schottky ; - effet photoélectrique ; - contact ohmique.

Des éléments de théorie extraits de l'ouvrage de G. Goudet et C. Meuleau permettent sans doute d'apporter quelques explications très complexes d'ailleurs dont je ne citerai que quelques éléments qui me paraissent intéressants : - mouvements en mécanique quantique ; discontinuités de potentiel, transmission à travers un puit de potentiel ; - théorie des bandes, étude d'une chaîne périodique d'atomes, fonction de F. BLOCH ; - influence de force extérieure (équation de SCHRÖDINGER) ; - théorie des bandes, notion électron et trou, zone de BRIllOUIN ; - statistique de FERMI-DIRAC, équilibre de plusieurs matériaux différents ; - courant électrique dans les solides hétérogènes, lois de diffusion et de conduction.

Tous ces éléments de physique moderne apporteront les connaissances nécessaires pour comprendre le fonctionnement très complexe du cohéreur.

J'espère avoir apporté au lecteur le goût du savoir et de la recherche sur le fonctionnement des systèmes ou éléments anciens des sciences et techniques. Un peu plus de 100 ans se sont écoulés depuis la présentation du cohéreur à l'Académie des Sciences en 1890 ; il était tombé dans un profond oubli, réactualisons le, avec nos théories et technologies actuelles. Il y a sans doute des applications que nous ne connaissons pas encore. Le pôle de recherche de Lannion et historique de Pleumeur Bodou n'est-il pas un creuset favorable pour de nouvelles activités de recherche dans le monde du radioamateurisme.

Mes remerciements à Michel GUILLOU et Pierre VINCKEL pour l'aide apportée à la rédaction de cet article.